Cher lecteur,
Pourquoi cette lettre ouverte ? Parce que je me rends régulièrement en Afrique dans le cadre de ma fonction, et que chaque fois, j’ai le sentiment qu’elle s’enfonce toujours un peu plus dans les méandres de la superstition, avec toutes les conséquences négatives qui en résultent pour elle et pour ses habitants. Or, j’aime ce continent et ceux qui le peuplent, parmi lesquels des membres de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, et je ne peux me résoudre à l’idée que des sorciers, envoûteurs et autres “magiciens noirs” continuent à ce point à les manipuler et à les aliéner, les empêchant ainsi d’évoluer comme ils le devraient sur les plans matériel et spirituel.
Tout d’abord, je tiens à dire que je me considère comme un citoyen du monde et ne pense aucunement que tel peuple soit “inférieur” ou “supérieur” à tel autre, pas plus que tel individu par rapport à tel autre. D’un point de vue rosicrucien, tous les êtres humains sont autant de cellules d’un seul et même corps, celui de l’humanité dans son ensemble. Cela étant, il y a de par le monde des croyances et des traditions qui élèvent les consciences, et d’autres qui les avilissent. Pour moi, il est évident que l’idée selon laquelle une personne peut en ensorceler ou en envoûter une autre fait partie de ces dernières, car elle aliène les corps, les esprits et les âmes. Ne pensez surtout pas que je m’arroge le droit de “faire la morale” à quiconque et que mes intentions soient empreintes de condescendance. Je pense simplement qu’il est de mon devoir de m’exprimer sur un sujet que je connais assez bien, en espérant que cela suscitera au moins la réflexion.
Les pratiques de “magie noire”
La question préalable qu’il faut se poser dans ce domaine est de savoir s’il existe effectivement des personnes qui pratiquent la sorcellerie, l’envoûtement et autres sortilèges, que ce soit d’ailleurs en Afrique ou sur d’autres continents. La réponse est «oui». Le nier ne serait qu’ignorance, mensonge ou hypocrisie. C’est ainsi qu’il existe des individus qui s’emploient à nuire à autrui au moyen de pratiques dites “maléfiques”. Ce peut être pour faire mourir la “victime”, la rendre malade, faire en sorte que sa maison brûle, décimer son troupeau, etc. Les moyens utilisés dans ce but sont multiples : évocation des mauvais esprits ou des démons ; récitation de formules “magiques” ; rituels occultes ; sacrifices d’animaux ; fétichisme ; etc. Ajoutons que selon les cas, ils agissent à titre personnel ou à la demande d’une tierce personne qui les a contactés dans ce but. De toute évidence, lorsqu’on fait appel à un sorcier ou à un envoûteur, c’est rarement par gentillesse et bienveillance…
Si l’on ne peut nier que la magie noire et la sorcellerie existent dans nombre de pays, notamment en Afrique, ces pratiques malveillantes n’ont en réalité pas d’autre effet que celui qu’on leur attribue. Cela veut dire que si l’on ne croit pas en leur efficacité, on n’a rien à craindre d’elles. En fait, elles n’agissent que sur les personnes qui en ont peur, car celles-ci s’autosuggestionnent négativement et conditionnent elles-mêmes les affres qu’elles redoutent. Autrement dit, elles s’ensorcellent ou s’envoûtent sous l’effet de leurs propres pensées. À titre d’exemple, si un individu croit qu’on lui a “envoyé” une maladie au moyen d’un sortilège ou d’un envoûtement, il finit par s’empoisonner mentalement et crée en lui les causes psycho- somatiques de cette maladie. En cela, ce ne sont pas les pensées négatives émanant des autres que nous devons redouter, mais celles que nous entretenons dans notre propre conscience.
À propos des maladies, je voudrais dire également qu’elles ne sont l’œuvre, ni de Dieu, ni du diable. Si l’on fait abstraction de celles qui ont une origine génétique ou congénitale, la plupart résultent du fait que par ignorance, négligence ou manque de sagesse, nous violons les lois naturelles qui régissent le fonctionnement et le métabolisme de notre corps. Boire trop d’alcool, fumer, se droguer, avoir une mauvaise alimentation, ne pas dormir suffisamment, manquer d’exercice physique, etc., sont autant de facteurs qui finissent tôt ou tard par provoquer des troubles plus ou moins graves. Par ailleurs, entretenir des pensées fondées sur la haine, la rancune, la jalousie, l’envie, etc., affecte la santé. Chacun devrait convenir que cela engage en grande partie notre responsabilité. S’ajoute à cela le manque d’hygiène. En Afrique, il y aurait infiniment moins de maladies si les ordures et détritus en tous genres ne pourrissaient pas à ciel ouvert à proximité des habitations.
Puisque je me suis référé à Dieu, peut-être est-il utile de préciser qu’il ne s’agit pas d’un Surhomme siégeant quelque part dans le ciel et se comportant à l’égard des hommes comme un père envers ses enfants, décidant de leur destin au quotidien, y compris du moment de leur mort. Malheureusement, c’est ainsi que Le conçoivent un grand nombre de croyants, toutes traditions et toutes religions confondues. En réalité, il faut voir en Lui l’Intelligence, la Conscience, l’Énergie, la Force (peu importe le terme) qui est à l’origine de l’univers et de la Terre elle-même, avec tous les êtres vivants qui la peuplent. Bien qu’Il soit inconcevable, Il se manifeste au moyen de lois impersonnelles que nous pouvons et même devons étudier. C’est précisément ce que font les Rose-Croix à travers leur enseignement. En fait, le bien-être et le bonheur auxquels nous aspirons tous résident dans le respect de ces lois divines, au sens de lois naturelles, universelles et spirituelles.
La peur du Diable
Pour ce qui est du diable, je ne crois nullement à son existence. En réalité, c’est l’homme lui-même, lorsqu’il applique son libre arbitre d’une façon négative, au point de com- mettre des actes malveillants, criminels, barbares, et donc “diaboliques” ou “démoniaques”. Il ne s’agit donc aucunement d’une entité spirituelle extérieure à nous, rivalisant avec Dieu pour nous inciter à faire le mal et désireuse de prendre possession de notre être durant notre vie ou après notre mort. Aussi, ce n’est pas la crainte de le rencontrer, d’être possédés par lui, de subir ses maléfices, etc., qui doit nous inciter à bien agir, mais la conviction que là est notre devoir en tant qu’êtres humains et citoyens. De même, les démons n’ont aucune existence, si ce n’est dans l’imaginaire de ceux et celles qui croient en eux. Ils symbolisent en fait les vices et les passions négatives de l’être humain.
Étant donné que le diable n’existe pas, il ne peut prendre possession de notre corps, pas plus que de notre âme. Malheureusement, cette croyance est très courante en Afrique, d’où le grand nombre d’exorcismes que l’on y pratique. Pour l’avoir vu, il est vrai que certaines personnes, y compris des enfants, en viennent parfois à se comporter comme si elles étaient “possédées” : état de transe, cris effrayants, yeux révulsés, contorsions impressionnantes, etc. Le plus souvent, il s’agit d’une “tragi-comédie” à laquelle la victime, convaincue de l’existence du diable, se livre sous l’effet de l’autosuggestion, parfois dans le seul but d’attirer l’attention sur elle. Dans les autres cas, cet état hystérique est dû à des troubles pathologiques, généralement une crise d’épilepsie, que l’on attribue à “l’œuvre du démon”. On fait alors appel à un exorciste, avec l’espoir qu’il mettra fin à la “possession”. Pourtant, là aussi, ce qu’il fait, fût-ce au nom de Dieu et aussi spectaculaire que cela puisse paraître, n’a pas d’autre effet que celui qu’on lui prête. Mieux vaudrait un traitement médical approprié…
Les guérisseurs-féticheurs
En Afrique, comme partout ailleurs dans le monde, il y a malheureusement des enfants qui naissent avec des malformations physiques ou des déficiences mentales. De nombreux Africains croient qu’elles sont dues à des sortilèges. De crainte de les subir “par contagion”, il arrive fréquemment que la population locale évite tout contact avec ces enfants et leur famille. Dans certains villages, ce rejet peut aller jusqu’au bannissement et pire encore… Au cours de ces dernières années, des organisations non gouvernementales (O.N.G.) se sont créées pour prendre en charge et soigner ceux qui souffrent de ces pathologies. On ne peut que s’en réjouir. Mais ces organisations se heurtent à une partie du peuple, qui voit là une intrusion dans ses mœurs. Les plus virulents à leur encontre sont les “guérisseurs-féticheurs”, car ils prétendent être les seuls à connaître l’origine précise de ces affections et à pouvoir les guérir. Ne les croyez pas ; faites confiance aux vrais médecins.
Contrairement à ce que pensent ceux et celles qui croient à la magie noire et à la sorcellerie, aucun être humain n’a le pouvoir de nuire aux autres à distance, car les pensées malveillantes, en raison de leur nature vibratoire, se “dissolvent” dans l’espace environnant avant d’atteindre quiconque. Pour prendre une analogie, elles sont comparables à une poignée de cendres qu’on lance devant soi et qui se dispersent à quelques pas, souvent même sur nous. De même, il est impossible à quiconque de “sortir de son corps” pour “vampiriser” telle per- sonne, ou se transformer en animal féroce pour tuer ou blesser telle autre. Là encore, on est dans le domaine de l’imaginaire et de la superstition. En revanche, n’importe qui peut verser du poison dans votre boisson, mettre des poils de panthère dans votre nourriture afin de vous perforer l’estomac, etc. Dans ce cas, il ne s’agit plus de sortilèges, mais d’actes criminels dont les auteurs devraient répondre devant les tribunaux.
Mon but, à travers cette lettre ouverte, n’est pas de faire le “procès en sorcellerie” de ceux et celles qui s’adonnent à des pratiques maléfiques destinées à nuire aux autres, mais de rassurer, et même de conforter, ceux et celles qui en ont peur. Aussi, je réaffirme que quiconque s’adonne à la magie noire et à la sorcellerie n’a pas d’autre pouvoir que celui qu’on lui prête. Je pense également que si certains sont convaincus à tort d’être capables de jeter des sorts, d’autres savent parfaitement qu’ils ne le sont pas et mentent en parfaite connaissance de cause. Quoi qu’il en soit, le seul moyen de se protéger contre leurs agissements est de n’y prêter aucune attention. Convaincus de cela, les Rose-Croix ne les craignent nullement, et même s’y opposent sur tous les plans. Je n’en connais d’ailleurs aucun qui ait eu à souffrir d’ensorcellements, d’en- voûtements et autres sortilèges. En revanche, vous connaissez certainement des ensorceleurs et des envoûteurs qui ont eu des accidents, sont tombés malades, etc., alors que leurs “pouvoirs” étaient censés les protéger. Dans ce domaine comme dans d’autres, chacun finit par récolter ce qu’il a semé.
Les fétiches, amulettes et autres gris-gris
Je ne peux évoquer le problème de la magie noire et de la sorcellerie sans parler des fétiches, amulettes et autres gris-gris auxquels on attribue un pouvoir bénéfique ou maléfique. Conformément à ce que j’ai expliqué précédemment, aucun objet, par lui-même et en lui-même, ne porte bonheur ou malheur, chance ou malchance. Une telle croyance relève également de la superstition. La même chose est vraie à propos des animaux. Malheureusement, de par le monde, on a massacré des millions de corbeaux, de chats noirs, de chouettes, de loups, etc., sous prétexte qu’ils étaient maléfiques. S’ils l’étaient vraiment, pourquoi la nature, et à travers elle Dieu Lui-même, aurait fait en sorte qu’ils viennent à l’existence ? Toujours est-il que si vous croyez à la magie noire et à la sorcellerie, sachez qu’aucun objet rituel, religieux ou traditionnel, aussi “sacré” et “puissant” soit-il, ne peut vous protéger. La meilleure protection en la matière, c’est le pouvoir de vos propres pensées. Soyez donc assuré que nul individu, pas même un féticheur, quoi qu’il dise, quoi qu’il suggère, quoi qu’il fasse, n’est capable de vous envoûter ou de vous ensorceler si vous ne le voulez pas au plus profond de vous-même.
À propos des animaux, je sais que nombre d’entre eux sont sacrifiés en Afrique et ail- leurs dans le cadre de rituels magico-religieux ayant pour but de chasser les démons, d’éloigner les mauvais esprits, de jeter un sort, de se protéger d’un envoûtement, de guérir une maladie, etc. En réalité, de tels sacrifices n’ont aucun effet protecteur, mais ils génèrent des souffrances inutiles, souvent barbares, à l’animal concerné. Là encore, il ne fait pour moi aucun doute que ceux qui les pratiquent ou les cautionnent s’exposent à des “retours de flamme”, car toute vie est sacrée aux yeux du Créateur et ne peut être prise que pour de bonnes raisons. Or, sacrifier des animaux, que ce soit d’ailleurs à des fins maléfiques ou pour plaire à Dieu, est coupable à Ses yeux. S’Il devait attendre un sacrifice de notre part, ce serait celui qui consiste à “tuer” ce qui est indigne et malveillant en nous, afin que nous devenions meilleurs dans nos jugements et notre comportement.
Je suis parfaitement conscient que les idées exprimées dans cette lettre ouverte vont choquer certains et déplaire à d’autres, et ce, pour des raisons diverses. À l’exception des Rose-Croix, beaucoup d’Africains, en la lisant, vont se dire également que je ne sais pas de quoi je parle et que le Français que je suis, pour ne pas dire le “blanc”, ne peut comprendre ce qu’il en est vraiment de la magie noire et de la sorcellerie. Je respecte ce point de vue, mais je leur demande néanmoins de faire momentanément abstraction de leurs croyances ancestrales, de réfléchir par eux-mêmes et de faire confiance aux lois divines, lesquelles sont constructives par nature et ne permettent pas à l’être humain de nuire à autrui au moyen de pratiques occultes ou “magiques”. Et qu’ils se posent la question : quel intérêt puis-je avoir à vouloir les convaincre qu’ils sont en eux-mêmes plus puissants que n’importe quel ensorceleur, envoûteur, etc. ?
À l’instar de tout individu, chaque peuple a des points forts et des points faibles. Alors que les Européens en général et les Français en particulier ont tendance à être trop rationalistes et même trop matérialistes, les Africains sont très spiritualistes, ce qui, de mon point de vue, est une qualité majeure. Leur faiblesse réside dans le fait qu’ils ont tendance à penser que les épreuves auxquelles ils sont confrontés (maladies, accidents, difficultés à avoir un enfant, perte de son emploi, échec à un examen, etc.) sont dues à des forces maléfiques que le diable, un démon, un esprit, un sorcier, un envoûteur, etc., dirige contre eux. Aussi longtemps qu’ils le croiront et se laisseront manipuler par ceux qui profitent de leur crédulité, ils resteront prisonniers des superstitions qui leur ont été inculquées de génération en génération, et ne pourront exprimer pleinement leur intelligence et leur esprit de créativité.
Je sais que les Africains aiment leurs enfants. Aussi, je les encourage plus que jamais à les éduquer dans l’idée qu’ils n’ont rien à craindre de la magie noire, de la sorcellerie et autres pratiques soi-disant maléfiques. La meilleure chose qu’ils puissent faire pour eux, outre leur donner une bonne éducation et répondre à leurs besoins les plus légitimes, c’est de les libérer définitivement du carcan de la superstition et permettre ainsi à l’Afrique de s’élever vers les hauteurs auxquelles elle est promise. Dans cette perspective, qu’ils soient assurés du soutien fraternel et spirituel de tous les Rose-Croix du monde…
Avec tous mes vœux de succès, de prospérité et de bonheur.
Sincèrement et fraternellement.
Serge Toussaint